C’est vrai, nous ne nous connaissons pas encore très bien même si, grâce à beaucoup d’entre vous, Lituaniens et Français se découvrent un peu plus chaque jour. Moi-même, je viens pour la première fois dans cette partie de l’Europe. Au moment où vous allez nous rejoindre dans l’Union, j’ai voulu souligner devant vous toutes ces choses que vous et nous désirons voir se réaliser dans l’Union, tous ces projets que nous pouvons porter ensemble, ce visage que nous souhaitons voir à l’Europe de demain. L’Europe, nous allons bientôt lui forger en commun un avenir. C’est lui qui, au-delà de l’amitié retrouvée, des affinités renouées, donne son sens à ma visite dans votre pays et dans toute sa région. Je suis heureux d’avoir pu l’évoquer devant vous. Et je veux, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Recteur, vous en remercier une nouvelle fois, et vous remercier, Mesdames, Messieurs, d’avoir bien voulu m’écouter.
Monsieur le Président de la République,
D’abord, merci de votre présence, j’y vois un geste personnel d’amitié et j’y suis particulièrement sensible,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d’abord, Monsieur le Recteur, vous remercier de m’avoir invité à rencontrer les représentants de la société lituanienne et de la jeunesse à l’Université de Vilnius dont vous nous avez parlé avec passion, à juste titre.
En effet, c’est une prestigieuse université, l’une des plus anciennes dans cette région d’Europe, l’une des plus renommées de notre continent. Haut lieu de la mémoire lituanienne, témoin du brillant passé de votre pays, de son rayonnement aux heures fastes du Grand Duché, mais témoin aussi des heures sombres qui virent la Lituanie avidement convoitée et âprement disputée de toutes parts.
Monsieur le Recteur, la belle devise de votre université – Hinc itur ad astra (d’ici, l’on monte vers les astres) – illustre sa vocation à porter toujours plus haut la connaissance, les valeurs, la liberté de l’esprit. C’est parce qu’elle incarnait cette liberté qu’elle dut fermer ses portes après trois siècles d’existence. Et elle ne les rouvrit qu’en 1919, avec l’indépendance lituanienne. Elle fut la première, dans l’ancienne Union soviétique, à choisir librement ses enseignements, à relever la tête, à braver les interdits.
Je veux saluer l’engagement et le courage des professeurs, des dirigeants, des étudiants, qui ont ici lancé le signal et secoué le joug. Je sais le rôle que vous-même, Monsieur le Recteur, avez joué comme premier vice-recteur dès l’indépendance, avant que votre Constitution ne consacre la libre existence de l’Université de Vilnius. Et je tiens à saluer M. le Recteur Pavilionis, grand ami de la France, et qui a marqué de son empreinte le renouveau de l’université, jusqu’à son élection, l’an dernier, au Parlement où, je le sais, il s’attache à intensifier les relations entre votre pays et le mien.
C’est également ici qu’est née, dès 1989, l’Association France-Lituanie qui, à peine l’indépendance recouvrée, a fait revivre dans votre pays le goût de la culture française et dont le réseau couvre désormais l’ensemble de votre pays. Je veux rendre hommage à tous ses membres, dont un certain nombre sont parmi nous, et les remercier de leur concours, essentiel au lien fraternel entre la Lituanie et la France.
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Aujourd’hui, dans ces murs, je pense tout naturellement à l’Europe d’antan, à ce maillage d’universités et de lieux de pensée où s’est forgée la conscience européenne. Au temps où écoliers et clercs parcouraient librement notre continent, de Vilnius à Salamanque, d’Oxford à Bologne, d’Heidelberg à Coïmbra. De leurs échanges naquit une nouvelle vision du monde, pétrie de science, de raison, de liberté. Si nous voulons construire ou reconstruire l’Europe des universités, c’est pour enraciner, chez les jeunes, l’appartenance à une même famille. C’est aussi pour que ce dialogue, ce brassage des savoirs, des cultures, des idées et des hommes, esquisse l’humanisme du XXIème siècle.
C’est d’abord cela l’Europe : ces valeurs de civilisation qui nous rapprochent et qui sont au cœur de la Charte des Droits fondamentaux adoptée l’an dernier par l’Union ; cette commune aspiration de nos peuples à la liberté, à la dignité, à la justice, à la démocratie ; ce souci de l’homme, ce modèle de société que les Européens s’acharnent à défendre et à promouvoir, chez eux et dans le monde.
L’Europe unie est d’abord apparue dans sa dimension économique, ses politiques communes, son grand marché. Dimension essentielle pour créer la dynamique qui a permis le progrès des membres de l’Union. Essentielle aussi pour assurer la solidarité entre Européens. Et avec l’euro, nous avons fait un nouveau pas décisif dans ce sens.
Je sais quelles sont vos attentes dans ces domaines. Elles sont légitimes. L’extension du grand marché et la politique de cohésion vont profiter à tous, anciens et nouveaux membres. Les avantages tirés de leur adhésion par l’Espagne, le Portugal ou la Grèce ont rejailli sur l’ensemble de l’Europe. L’augmentation rapide de leur niveau de vie s’est traduite, en effet, par une croissance et des importations plus fortes. Et vous pouvez être assurés de bénéficier demain, à votre tour, de l’effort de solidarité de vos partenaires européens.
Mais le rêve des grands fondateurs de l’Europe, c’était d’abord et avant tout la paix. Que prennent fin les conflits qui endeuillaient l’Europe depuis des siècles et qui ont atteint leur paroxysme au cours des deux grandes guerres mondiales. En créant la Communauté du Charbon et de l’Acier, pour commencer, en mettant en commun et en déléguant à une autorité supranationale les instruments de la guerre – je veux dire le charbon et l’acier -, Allemands et Français tournaient la page du passé. Quel meilleur moyen de se réconcilier, de fermer et de cicatriser de si profondes plaies, que de se retrouver côte à côte pour travailler ensemble !
Et le projet européen a magistralement joué son rôle. Depuis plus d’un demi-siècle, nous vivons à l’Ouest une ère de paix sans pareille dans l’Histoire. Nous avons enraciné la démocratie et atteint le point de non-retour. Nous connaissons une prospérité solide et nous constituons la première puissance économique du monde. Mais l’œuvre demeurait inachevée. A l’Est, les chars montaient la garde et vous interdisaient d’Europe.
Devant vous, je veux dire l’admiration des Européens de l’Ouest devant ce qui s’est passé ici ; votre inébranlable esprit de résistance, malgré les interdits, les obstacles, les persécutions ; votre volonté, qui a bouleversé le visage de l’Europe. C’est aussi parce que vous rêviez de pouvoir rejoindre l’Europe de la liberté que vous avez espérée et tenu. C’est dans votre rêve que vous avez puisé la force de vous soulever.
Dès la chute du Mur, j’ai défendu, parmi les tout premiers, la nécessité de réconcilier la géographie et l’histoire. Et j’ai souhaité l’entrée de vos pays dans l’Union européenne. Aujourd’hui, je peux vous dire que vous y êtes les bienvenus.
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Ne doutez pas de la détermination des Européens, et en particulier des Français, à réussir l’élargissement. Et à le réussir vite. Pour nous, comme pour vous, l’élargissement est une grande ambition politique avant d’être un projet technique.
Certes, nous savons qu’il y a des règles du jeu à respecter : l’acquis communautaire doit être transposé et appliqué. Des périodes de transition sont nécessaires pour vous, comme pour l’Union.
Mais regardez le chemin parcouru depuis deux ans et demi. Pendant toute cette période, c’est bien la perspective de l’élargissement qui a guidé les Quinze.
D’abord à Berlin, lorsqu’ils ont décidé de leurs financements futurs en se préparant à des efforts supplémentaires.
Ensuite à Nice, sous présidence française, en adoptant une réforme des institutions particulièrement difficile et en prenant en compte les intérêts des pays candidats. Je pense en particulier à la Lituanie, qui tiendra toute sa place au Conseil européen.
Nous avions pris un engagement à Helsinki : être prêts le 1er janvier 2003. A Nice, nous avons donné une nouvelle impulsion en adoptant une feuille de route qui balise la fin des négociations. A Göteborg, il y a quelques semaines, l’Union a franchi un pas supplémentaire en soulignant que l’élargissement était irréversible. La façon dont les gouvernements de l’Union ont réagi au résultat du référendum irlandais sur le Traité de Nice est elle-même éclairante : ils ont immédiatement, et de façon unanime, décidé de poursuivre les procédures de ratification, afin que l’élargissement ne soit pas entravé. Quand je dis unanime, cela veut dire Irlande comprise.
Quant aux négociations que les candidats mènent, chapitre après chapitre, avec la Commission, elles ont progressé plus vite que prévu, surtout au cours des derniers mois. La Lituanie, pour ce qui la concerne, a rattrapé les pays les plus avancés.
Et je veux saluer aujourd’hui les efforts, souvent difficiles, consentis par vos compatriotes. Mais les réformes portent leurs fruits. La Commission européenne les juge particulièrement encourageants et je me réjouis que votre pays, avec dix-huit chapitres clos et d’excellentes équipes de négociation, figure aujourd’hui dans le peloton de tête des candidats.
Vous le savez, pour les pays qui remplissent les conditions, les négociations devraient se terminer fin 2002. Les premiers candidats pourront ainsi adhérer dès 2004 et participer à la prochaine élection du Parlement européen. Ce calendrier correspond à celui que, dans sa sagesse, la Lituanie s’était fixé à elle-même. Et je suis convaincu qu’ensemble, nous tiendrons cet objectif.
Oui, nous allons poursuivre côte à côte la grande aventure européenne. Et aujourd’hui, je souhaiterais dire aux Lituaniens : l’Europe, dans laquelle vous allez entrer, sera demain ce que vous vous voudrez en faire avec nous. A vous aussi de la façonner, d’y exprimer vos exigences, d’infléchir le destin commun, notamment dans le cadre du grand débat qui vient de s’engager sur l’avenir de notre Union !
Et permettez-moi, dans cet esprit, de vous faire part des idées de la France qui, vous le verrez très souvent, rejoignent vos préoccupations et vos attentes.
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J’évoquais à l’instant la nécessité d’aller de l’avant, de relancer la dynamique de l’Europe, d’en poursuivre la construction.
Nous en avons besoin pour tirer le meilleur parti de la mondialisation et des échanges internationaux. Pour l’Union, qui est déjà l’ensemble le plus ouvert du monde et qui dispose de formidables capacités – humaines, industrielles, technologiques, scientifiques – c’est une chance réelle de développement des activités et de l’emploi. Mais la mondialisation, ce sont aussi des risques – désordres financiers, dumping social, trafics d’argent sale, de stupéfiants, atteintes à l’environnement – des risques contre lesquels nous, Européens, pouvons et devons agir. Nous avons besoin de mécanismes régulateurs, dans l’Union et au-delà. Ensemble, nous pouvons peser sur le cours des choses. Seuls, nous ne pouvons pas maîtriser, civiliser, humaniser la mondialisation. C’est cela que nous permet l’Europe.
Voilà pourquoi nous devons aller vers plus d’Europe. Mieux coordonner nos politiques économiques. Avoir une approche plus intégrée de notre politique étrangère et de défense. Resserrer notre coopération judiciaire et policière. Bref, partager un peu de notre souveraineté, comme douze Etats l’ont déjà fait pour l’euro, et l’exercer en commun dans des domaines où s’estompent les frontières traditionnelles et où les réponses des seuls Etats ne suffisent plus à protéger les citoyens.
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Mais l’Europe, nous ne devons pas y perdre notre âme. L’un des atouts de l’Union, c’est sa diversité, diversité des expériences, des caractères et des génies de chacun de nos peuples, diversité des langues et des cultures, et donc des sensibilités et des valeurs. Les Lituaniens ont leur histoire, qui fut parfois difficile. Ils y ont forgé leur âme, leurs sensibilités, leurs espérances. La France, comme la Lituanie, demeure profondément attachée à son identité. En préservant nos nations, nous gardons à l’Union sa force et sa richesse.
La prochaine réforme institutionnelle, nous en sommes convenus à Nice, devra en tenir compte. Elle devra faire toute sa place au principe de subsidiarité, clarifier la répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres, dire qui fait quoi, enrayer l’inflation réglementaire, décentraliser autant que possible la décision, la rapprocher du terrain, et préserver les traditions et les particularités de nos nations et de nos régions.
Elle devra conférer à l’Europe un surcroît de légitimité, simplifier les Traités, c’est-à-dire rendre le projet européen plus lisible pour les citoyens, et renforcer la démocratie dans l’Union, que ce soit à travers le Parlement européen ou les Parlements nationaux.
Cette réforme se fera dans le respect de toutes nos nations. Il n’y a pas de « petit » ou de « grand » pays dans l’Union. Ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Demandez au Luxembourg, qui a donné à l’Europe deux présidents de la Commission, qui accueille le siège de nombreuses institutions, qui a assuré tant de brillantes présidences du Conseil, s’il regrette l’aventure européenne. L’Europe lui a permis de rayonner davantage.
C’est pourquoi, dans le grand débat qui s’ouvre, j’ai proposé que l’Union se constitue en une Fédération d’Etats nations. Il y aura, dans l’Europe de demain, davantage d’éléments de nature fédérale, mais fondés sur la libre volonté de ces grands acteurs de l’histoire des peuples que sont et demeureront nos nations. Et cette Fédération d’Etats nations reposera sur une Constitution déclinant les valeurs de l’Europe et la répartition des compétences dans l’Union.
Vous le voyez, dans ce débat, la France, la Lituanie et les autres Etats baltes ont des sensibilités et des intérêts voisins. Je suis sûr que nous saurons nous épauler lorsque, à partir de l’année prochaine, dans le cadre d’un forum rassemblant Parlement européen, Parlements nationaux, Commission, représentants des gouvernements et auquel vous serez naturellement associés, nous siégerons côte à côte pour réfléchir à l’avenir de l’Union.
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Mais, dès à présent, nous devons travailler aussi à conférer sécurité et stabilité à tout notre continent. Je sais combien cette question est pour vous essentielle. Sans sécurité, on ne peut pas installer solidement la démocratie, gagner durablement la prospérité, se consacrer pleinement au développement des activités et s’ouvrir aux échanges.
Les conditions de la sécurité et de la stabilité dans l’ensemble de l’Europe ont été profondément modifiées ces dernières années. Pendant cinquante ans, nous avons connu une stabilité imposée par l’équilibre de la terreur. Nous devons aujourd’hui l’assurer par la démocratie, la coopération et le retour de la confiance.
Dans ce nouveau contexte, l’Union européenne joue un rôle central. Son principal acquis est d’avoir garanti la paix entre ses membres. Son affirmation politique et sa capacité de défense aujourd’hui lui permettent aujourd’hui de renforcer encore son rôle de paix et de stabilité à l’extérieur. La Russie est, avec l’Union européenne, l’autre pôle de notre continent. Ensemble, elles auront la responsabilité d’en assurer le développement et la stabilité. C’est tout l’enjeu du partenariat stratégique qu’elles ont décidé d’établir en commun.
La sécurité en Europe repose également sur le lien transatlantique, incarné par l’OTAN. Je sais l’aspiration de la Lituanie, et aussi de ses voisins baltes, à entrer dans l’Alliance. Cette aspiration est légitime. Je la comprends et je l’accueille favorablement. J’y vois le signe d’un attachement aux valeurs communes qui nous unissent. J’y vois aussi le signe de la liberté. La France estime que, pour chaque pays, le choix des alliances auxquelles il souhaite appartenir est un attribut essentiel de sa souveraineté. Maîtriser son destin, c’est aussi choisir ses partenaires.
En même temps, je veux souligner que nous ne devons pas laisser se reconstituer une nouvelle ligne de division en Europe. Tel serait le cas si l’on décidait de manière arbitraire de geler le processus d’élargissement de l’Alliance atlantique. Tel serait également le cas si l’on concevait cet élargissement en opposition à quiconque, repoussant à l’Est la fracture de naguère.
Aussi, ce mouvement d’élargissement doit-il s’accompagner de davantage de coopération, de davantage de confiance entre l’ensemble des pays européens et notamment avec ceux qui n’appartiennent pas à l’OTAN. La confiance ne se décrète pas. Elle se bâtit peu à peu, à l’épreuve des faits. Elle nécessite une volonté politique forte. Elle suppose aussi, comme nous avons su le faire à l’Ouest de l’Europe, il y a cinquante ans, de surmonter les craintes et les rancœurs, de substituer la concertation à l’antagonisme et de construire une nouvelle relation humaine.
Certaines instances rassemblent déjà l’ensemble des pays européens, telles que l’OSCE ou, dans un domaine plus spécialisé, le Conseil de l’Europe. Il faut les renforcer. Il faut leur donner une nouvelle impulsion, pour que la famille européenne, au grand complet, puisse constituer le plus vaste espace de liberté, de démocratie et de paix dans le monde.
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Voilà, Mesdames, Messieurs, le message que je souhaitais porter aux Lituaniens. Demain, nous aurons destins liés en Europe. Et je m’en réjouis. Nous mettons un point final à l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire de l’humanité, la Seconde guerre mondiale, avec le honteux partage de l’Europe qui s’en est suivi. Nous rétablissons le cours des choses. Des pays qui nous ressemblent, avec lesquels nous avons dialogué dans l’Histoire, avec lesquels nous nous sentons de profondes affinités, des traits communs – le goût de la liberté, l’esprit de résistance, la volonté de vivre, et de vivre en paix, le sens de l’ouverture et de la tolérance en même temps que l’attachement à nos racines -, ces pays retrouvent leur famille. C’est justice. Et c’est une chance de poursuivre ensemble la construction de l’Union.
C’est vrai, nous ne nous connaissons pas encore très bien même si, grâce à beaucoup d’entre vous, Lituaniens et Français se découvrent un peu plus chaque jour. Moi-même, je viens pour la première fois dans cette partie de l’Europe. Au moment où vous allez nous rejoindre dans l’Union, j’ai voulu souligner devant vous toutes ces choses que vous et nous désirons voir se réaliser dans l’Union, tous ces projets que nous pouvons porter ensemble, ce visage que nous souhaitons voir à l’Europe de demain. L’Europe, nous allons bientôt lui forger en commun un avenir. C’est lui qui, au-delà de l’amitié retrouvée, des affinités renouées, donne son sens à ma visite dans votre pays et dans toute sa région. Je suis heureux d’avoir pu l’évoquer devant vous. Et je veux, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Recteur, vous en remercier une nouvelle fois, et vous remercier, Mesdames, Messieurs, d’avoir bien voulu m’écouter.
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Je suis tout prêt, naturellement, à répondre aux questions que tel ou tel d’entre vous voudrait me poser.
Q – Monsieur le Président, je suis très heureux de vous voir à Vilnius, de voir à Vilnius le chef d’Etat français et également quelqu’un qui, il y a dix ans, étant maire de Paris, a apporté un très grand soutien à l’indépendance lituanienne et à ce que la ligne de partage de Yalta disparaisse. Je voudrais poser une question qui a trait à l’indépendance de la Lituanie. Depuis huit ans, la Lituanie est libre et depuis huit ans il n’y a plus d’armée d’occupation. A ce niveau là, il n’y a plus d’occupation. Mais, le territoire souverain lituanien à Paris, si j’ose dire, est toujours occupé. Quel est votre avis et comment vous voyez ce problème ? Comment pourrait-on faire pour que ce paradoxe n’existe plus, pour que ce terrain lituanien, cette parcelle de terrain lituanienne, à Paris, en France, le pays de la liberté, pour que cette parcelle soit libre et soit restituée à la Lituanie, parce que cela appartient à la Lituanie de loin ?
R – Cher monsieur, il est quatre heures et demi. Et vous avez dit comment allez-vous restituer ces parcelles de territoire lituanien à Paris ? En réalité vous auriez dû parler au passé. Car, depuis deux heures et demi, ce problème est réglé.
Pour dire la vérité, nos responsables hauts fonctionnaires ont beaucoup travaillé depuis quelques jours et même quelques semaines. Ce matin, nos ministres, le ministre lituanien et le ministre français, M. Moscovici, ont travaillé un bon moment ensemble et sont arrivés à un accord que le président Adamkus et moi nous avons confirmé. Donc le problème est réglé. Et je vais vous dire une chose, je m’en réjouis beaucoup. Le président Adamkus, tout à l’heure, disait à la conférence de presse que je lui avais dit lors de notre dernier entretien à Paris que cette affaire était comme un caillou dans notre chaussure. Eh bien, a-t-il dit ce matin, nous avons enlevé la chaussure, enlevé le caillou et remis la chaussure. Cette affaire est réglée, je m’en réjouis.
Je voudrais maintenant répondre à des questions que j’ai entendues les Lituaniens se poser et c’est par l’intermédiaire de leur presse que j’en ai pris conscience. J’ai vu que, si en Lituanie une majorité, d’après les sondages, des Lituaniens étaient favorables à l’entrée dans l’Union européenne, il n’en restait pas moins qu’un certain nombre émettaient encore des réserves. J’ai voulu voir exactement sur quoi portaient ces réserves. Et je me suis aperçu en particulier qu’un certain nombre de Lituaniens se disaient : « mais est-ce que nous n’allons pas perdre notre identité ? Est-ce que nous n’allons pas être dans un système où les petits pays sont en réalité tenus à l’écart et où les décisions sont prises par les grands ? Est-ce que nous n’allons pas être soumis au contrôle ou aux instructions tatillonnes de la technocratie de Bruxelles ? » Et je pense que lorsque les gens se posent des questions, il y a des raisons. Qu’il faut les écouter, y réfléchir, en tenir compte et puis, le cas échéant, répondre.
Alors, je voudrais m’adresser aux Lituaniens qui éprouvent des inquiétudes ou du scepticisme. Pour leur dire qu’à mon avis, l’histoire leur donnera tort. Je voudrais d’abord redire ce que j’ai dit tout à l’heure, mais c’est là l’essentiel. Quand les pères fondateurs de l’Europe ont conçu leur projet, ils avaient deux idées en tête. C’était au lendemain de la guerre, la Deuxième guerre mondiale. Et leurs idées, c’était la paix et la démocratie. Comment faire pour avoir une Europe ou ce que nous avions connu ne pourrait plus jamais se reproduire, où l’on ne se battrait plus, où il ne serait plus possible de se battre et où les Droits de l’Homme seraient respectés.
C’est toujours vrai. Regardez la situation actuelle dans les Balkans. Les tentations de guerre subsistent toujours. Tant qu’il y aura des hommes, il y en aura. Nous ne convaincrons pas les hommes d’être raisonnables. Mais en revanche, on peut créer une organisation et un système qui ne leur permettent pas de donner libre cours à leurs mauvais instincts. C’est cela le premier avantage de l’Europe. Et c’est vrai naturellement pour la Lituanie comme pour tous les autres pays. Et cela n’a pas de prix, la paix et la démocratie.
Deuxièmement, c’est aussi la stabilité. Un pays comme le vôtre, et bien d’autres en Europe, ont tellement souffert de l’instabilité. Avoir un système reconnu, en quelque sorte co-garanti par un espace aussi vaste que l’Europe, en terme de stabilité des nations, des frontières, c’est sans prix. Vouloir conserver son identité, bien sûr, mais la soumettre à toutes les tentations extérieures, cela, c’est dangereux. Vous en avez fait l’expérience, nous aussi. Donc il faut de la stabilité. Et pour cela, il faut une organisation. L’Europe est la meilleure.
Ensuite, nous sommes dans un monde où le progrès s’inscrit dans les ambitions légitimes de chacun. Et ce progrès exige le développement, la création des richesses. Là encore, nous ne sommes plus dans un monde, compte tenu des techniques et des technologies nouvelles, où chacun peut faire sa petite soupe dans son petit coin. Ce n’est pas vrai. Il y a un vieux proverbe, qui doit, à mon avis, exister dans toutes les langues, même dans l’une des plus anciennes du monde, celle que l’on parle ici, qui dit que l’union fait la force. C’est plus vrai que jamais. Ensemble, en étant complémentaires, en étant solidaires, nous pouvons assurer le progrès.
Regardez, j’évoquais tout à l’heure l’Espagne, le Portugal, la Grèce. Regardez les progrès extraordinaires qu’ils ont pu accomplir depuis qu’ils sont entrés dans l’Union ! Jamais ils ne l’auraient fait s’ils étaient restés à l’écart de l’Union, jamais. Leur vie a été transformée.
Le développement implique l’union aujourd’hui. Nous ne sommes plus à l’âge des cavernes. Nous sommes dans un monde entièrement interconnecté.
Et puis il y a encore une dernière raison et qui est essentielle. Nous voyons bien qu’aujourd’hui, la mondialisation, la globalisation, s’impose. Elle s’impose et elle fait peur. On voit bien qu’elle fait peur avec toutes les manifestations qui se produisent actuellement, mais qui ne sont que l’expression d’une peur beaucoup plus diffuse, beaucoup plus importante d’hommes, de femmes, qui se demandent comment leur avenir va être assuré. Comment ils pourront bénéficier de la sécurité et du progrès alors qu’ils voient qu’ils n’ont plus de prise sur les choses. Et même que leurs gouvernements ont de moins en moins de prise sur les choses.
Alors, la mondialisation, il est absurde de la critiquer. C’est absurde parce que c’est la conséquence de l’évolution des technologies, des techniques modernes. C’est la liberté des échanges. Et cela, on n’y peut rien. On ne reviendra pas en arrière. On ne reviendra pas, comme disait le général de Gaulle, au temps des lampes à huile. Non, c’est terminé.
Et donc, notre problème, c’est de l’humaniser cette mondialisation. C’est de la maîtriser. C’est de faire en sorte d’en tirer le meilleur en termes d’échanges et donc de production de richesses tout en évitant les dangers quelle représente, notamment sur le plan de notre statut social, culturel, économique.
Aujourd’hui, aucun pays, en dehors des Etats-Unis peut-être, et encore pas pour longtemps probablement, ne peut à lui seul assurer la défense d’un modèle, aucun. Pas plus la Lituanie que la France. Nous devons, ensemble, mettre au point un modèle humain, c’est-à-dire un modèle social européen, un modèle culturel européen, qui fixe très clairement les droits, les devoirs, les garanties de nos citoyens en fonction des valeurs, de l’histoire, de la tradition qui est la nôtre. Et cela, un ensemble de 500 millions d’habitants comme l’Europe peut l’imposer. Aucun des pays qui la constitue ne peut le faire, mais l’Europe ensemble peut l’imposer. C’est-à-dire que l’Europe est en réalité le plus sûr moyen de mettre en œuvre une action permettant de maîtriser et d’humaniser la mondialisation. Ce n’est pas par le discours qu’on le fera. Ce n’est pas par le règlement ou la loi de tel ou tel Parlement ou de tel ou tel gouvernement qu’on le fera. On le fera par une action forte et solidaire en s’imposant dans le monde et seule la dimension européenne nous donnera la force d’imposer notre modèle humain européen, social, économique, culturel. Et donc c’est tout à fait essentiel. Cela, la paix, la démocratie, la stabilité, la défense de nos valeurs, de notre modèle social européen, des progrès que nous avons pu faire dans le passé et dont nous assumons aujourd’hui la responsabilité, cela, se sont les avantages de l’Europe.
Alors, les inconvénients, car rien n’est parfait dans le monde, quand il y a des avantages, il y a toujours quelques inconvénients. Je reprends la lecture de ce que j’ai vu dans la presse lituanienne, traduite en français naturellement. Est-ce que nous n’allons pas perdre notre identité dans cette affaire ? Vous savez, je pourrais vous dire d’abord que, malgré les drames de l’histoire, les Lituaniens ont toujours conservé leur identité, les Français aussi d’ailleurs. Alors, ce n’est pas l’entrée dans le club bien élevé de l’Europe qui va mettre en cause leur identité. Et surtout, est-ce que vous croyez que nous, Français, nous voulons perdre notre identité, notre langue, notre culture, nos valeurs ? Mais nous y sommes aussi attachés que vous aux vôtres ! Et les nôtres sont aussi respectables que les vôtres et que celles de tous les autres pays européens. Nous n’avons aucune intention de perdre notre identité. Et nous comprenons parfaitement qu’il en soit de même pour vous.
Et si nous proposons une vraie réflexion sur l’avenir de l’Europe qui s’est ouverte maintenant, et à laquelle les pays candidats sont associés, et qui se terminera naturellement avec la réforme de 2004, c’est précisément pour garantir à chacun le respect de ses identités.
Si j’évoque le système où je propose une fédération d’Etats nations, c’est précisément ce qui permet à chacun de conserver son identité.
La deuxième réflexion, c’est : nous sommes un peu des petits pays et les petits pays seront toujours à la traîne et c’est les grands qui vont décider. Je vais vous dire que ceux qui disent cela ne connaissent pas l’Europe, n’ont jamais pris la peine d’observer comment elle fonctionnait, jamais. L’Europe a été composée dès le départ de pays importants comme l’Allemagne, la France ou l’Italie et de pays moins importants, je parle naturellement sur le plan purement démographique et non pas sur le plan politique ou culturel, comme la Belgique, le Luxembourg, la Hollande. Jamais, jamais, dans l’histoire de notre communauté, il n’y a eu une différence entre les petits et les grands pays. Tout simplement parce que les discussions se font en fonction des intérêts et que les intérêts, il n’y a pas les intérêts des grands pays d’un côté et les intérêts des petits pays de l’autre, il y a des intérêts différents entre les pays, qui conduisent toujours à ce qu’il y ait dans les discussions entre majorité et minorité, d’un côté quelques grands pays et quelques petits pays, et, de l’autre, quelques grands pays et quelques petits pays. On n’a jamais vu un diktat des grands pays. Cela n’existe pas, dans toute l’histoire de l’Europe. Tout simplement parce que c’est impossible. Ce n’est donc pas un argument qui doit être retenu. Il est irréaliste.
Et puis alors, j’ai entendu la dernière des réflexions : on va être soumis à la technocratie de Bruxelles. Cela, c’est vrai. Cela, c’est vrai, et croyez bien que bien souvent j’en souffre le premier. Et si je ne me retenais pas, il m’arriverait bien souvent de faire des critiques acerbes ou même de me révolter.
Alors, d’abord, je constate qu’en règle générale, ma position est très égoïste et qu’on ne peut pas à la fois vouloir tout gagner ou tout prendre et ne rien dépenser, ne rien acheter. Je veux dire qu’un grand ensemble comme l’Europe, c’est un ensemble fondé sur l’échange et, bien entendu, sur le compromis au sens le plus noble du terme. Et puis d’autres fois, je reconnais que la technocratie est excessive ou qu’elle a tort et qu’il faut en permanence la surveiller et la maîtriser. C’est vrai.
Mais les inconvénients, par rapport aux avantages que je développais tout à l’heure, ces inconvénients sont microscopiques et, de surcroît, on peut espérer les maîtriser.
Donc, au total, je voudrais dire à nos amis, je dirais à nos frères, parce que c’est un peu une aventure fraternelle que nous menons ensemble en Europe, à nos frères de Lituanie qu’ils peuvent avoir confiance. Que leur passé leur permet d’affirmer clairement la force de leur identité dans cet ensemble dont ils profiteront autant que les autres. Et qu’ils ne peuvent pas rester à l’écart d’un grand projet qui a pour ambition la paix, la démocratie et la stabilité. On n’a pas trouvé d’autre solution qui permette de garantir pour l’avenir à nos enfants la paix, la démocratie et la stabilité. Il n’y a pas d’autre solution qui nous permette de maîtriser pour ce qui nous concerne les effets pervers de la mondialisation.
Et puis, enfin, l’Europe est quand même tout entière l’un des principaux berceaux du monde. Elle doit être ambitieuse. Elle doit vouloir retrouver les moyens d’être à tous égards exemplaire dans le monde en termes de cultures, comme en termes de développement. Elle doit avoir l’ambition de céder à nos enfants une force qui soit à nouveau la force, à la fois de l’esprit, mais aussi du bien être dans le monde de demain. Elle ne doit pas avoir de complexes. Elle doit aller de l’avant. Elle a les cerveaux, elle a la culture, elle a les techniques qui lui permettent d’aller de l’avant et de s’imposer dans un monde qui, demain, sera à l’évidence multipolaire. Avec la Chine, avec l’Inde, avec l’Amérique du Sud, avec l’Amérique du Nord, avec les grands ensembles, l’Europe doit avoir pour ambition d’être le premier et le moteur de ce monde multipolaire. Elle peut le faire.
Voilà ce à quoi nous sommes, tous ensemble, confrontés et ce que tous ensemble nous réussirons.
Je vous remercie.
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