L’Estonie, et les pays qui viennent de rejoindre l’Europe, aspirent légitimement au même niveau de prospérité que les autres pays. Plusieurs entreprises françaises sont très actives en Estonie, elles mettent en œuvre des partenariats dans des domaines de pointe : Alstom dans les centrales électriques à Narva, Thalès, Sagem ou EADS pour la sécurité, Véolia pour l’énergie avec Tallinnaküte.
DEPLACEMENT EN REPUBLIQUE D’ESTONIE
ALLOCUTION DE LA MINISTRE DELEGUEE AUX AFFAIRES EUROPEENNES, MME CLAUDIE HAIGNERE
« La France et les ambitions économiques européennes »
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui, à Tallinn, et de contribuer à ce dialogue si important entre la France et l’Estonie.
Lorsqu’on interroge les Européens sur leurs attentes pour l’Europe, la réponse ne tarde pas : la croissance économique et l’emploi. Réciproquement, ce sont souvent les craintes sur ces sujets qui alimentent les opposants à la future constitution européenne. C’est donc sur ce sujet que je voudrais revenir devant vous aujourd’hui.
La construction de l’Europe est très largement une « success story » économique : la croissance exponentielle des échanges depuis les années 60, la maîtrise de l’inflation et de la vie chère, la réussite spectaculaire de pays qui ont rejoint l’Union européenne – Irlande, Espagne, Portugal…
Pour nous tous aujourd’hui la question est de préserver cette ambition économique. Il faut faire en sorte que l’Europe reste la bonne réponse à cette demande des citoyens. Plusieurs défis se présentent :
En premier lieu, l’Europe doit faire face à d’autres puissances économiques qui émergent – la Chine, l’Inde en particulier -, et qui se poseront durablement en concurrents de l’Europe, de tous les pays, dans tous les secteurs économiques.
L’Europe n’a pas d’autre choix que d’évoluer pour y faire face. Evoluer, c’est faire le pari de l’intelligence, des technologies, de la recherche. C’était l’ambition notamment de la stratégie de Lisbonne en 2000, et c’est pourquoi je pense que la révision de cette stratégie qui doit avoir lieu en 2005 est une étape essentielle pour l’Europe. Nous nous réjouissons de l’importance qu’y accorde le président Barroso. Nous serons très attentifs aux propositions qui seront avancées prochainement par le rapport du groupe de haut niveau de M. Kok. La France contribuera aux travaux qui doivent préparer les conclusions des prochains conseils européens sur ce sujet.
L’investissement dans la recherche est un facteur essentiel de succès. Notre objectif fixé à Lisbonne d’investir 3% de notre PIB dans la recherche ne doit pas rester incantatoire. Ainsi, en 2005, la France va investir 1 milliard d’euros supplémentaires dans la recherche. Mais la recherche a besoin de l’Europe, elle a désormais une dimension européenne. Je crois donc que le budget européen doit prendre en compte cet objectif, et accroître par effet de levier la contribution des entreprises à cet effort collectif.
Autre facteur de succès, les projets européens notamment dans les domaines technologiques. Notre attractivité se fonde en effet sur des réseaux interconnectés, denses, et de grande qualité : réseaux de transports, réseaux à haut débit, réseaux d’énergie… Je sais que les nouveaux membres de l’Union européenne sont très concernés par la mise à niveau de ces réseaux. L’Europe y dispose de compétences de très haut niveau, et je sais que des collaborations sont en œuvre dans ces domaines, notamment entre les entreprises françaises et estoniennes.
Autre facteur de succès, l’émergence et le renforcement de « pôles de compétitivité ». J’appelle ainsi des centres d’excellence alliant industriels, équipes de recherche, universités sur un même lieu. Comme d’autres pays d’Europe, la France a décidé de mener une politique active de soutien à ces pôles qui seront l’un des déterminants de la compétitivité dans les années à venir. Nous invitons nos partenaires européens, et la commission, à impulser des politiques en faveur de ces pôles, en utilisant une panoplie d’outils (PCRD, fonds structurels notamment).
Deuxièmement, parce que la création de richesse est une condition nécessaire pour préserver et renforcer la cohésion sociale.
Plus que jamais, la cohésion sociale doit se financer par la croissance et par le travail. Le système de redistribution sociale de l’Europe doit faire face à plusieurs défis : celui de la démographie, celui du taux d’emploi, celui de l’assurance-maladie, pour n’en citer que quelques-uns uns. Le vieillissement de la population est probablement la menace la plus sérieuse à l’heure actuelle : il y aujourd’hui 35 retraités pour 100 actifs en Europe, mais si les tendances démographiques persistent, ce seront en 2050 75 retraités pour 100 actifs… Cela doit aussi nous conduire à réfléchir en Europe sur les politiques appropriées pour faire face au défi démographique : il faut, je crois, en priorité améliorer le taux d’emploi (pour les femmes, les jeunes, les travailleurs âgés).
Je sais bien que sur les questions sociales, on a souvent l’image d’une France qui n’aime pas le travail, et qui fait le choix de l’impôt pour financer son modèle social, qui sacrifie sa compétitivité et son emploi pour maintenir un système social trop protecteur. Je crois que cette image est fausse. Elle est fausse car la France s’est mise en mouvement, elle est sortie de l’immobilisme pour être, en Europe, un facteur de dynamisme et d’emploi. Sait-on par exemple que quelque 200 000 entreprises sont créées chaque année, grâce aux allégements de charges et aux nouveaux dispositifs administratifs (loi sur l’initiative économique) consentis récemment ? Sait-on que l’impôt pour les Français a baissé de près de 10% depuis deux ans ? Que la France est en tête de l’Europe pour l’accès au haut débit ? Qu’elle est le pays d’Europe continentale le plus attractif pour l’investissement direct étranger ?
Je pense que la France a profondément changé, et qu’elle s’est engagée depuis deux ans dans un processus de modernisation sans précédent : régime de retraites modernisé et pérennisé, assurance-maladie qui revient vers l’équilibre, aide aux personnes âgées et handicapées, assouplissement de la loi sur les 35 heures pour s’adapter à la réalité de l’activité des entreprises, réforme de la formation professionnelle pour mettre en place la « formation tout au long de la vie », lois en préparation sur l’avenir de la recherche et sur l’école. Toutes ces réformes, cela fait longtemps qu’on en parle en Europe, mais le plus difficile c’est souvent de les mettre en œuvre. Ces réformes ont été conduites en France dans un climat de dialogue social, de justice et de partage des efforts nécessaires entre les Français.
Ces réformes se sont faites dans l’esprit de préserver durablement notre modèle social. Il n’y a pas de contradiction entre compétitivité et progrès social, l’histoire récente de l’Europe le prouve. Dans bien des cas même le progrès social favorise une plus grande compétitivité : certains risques sont mieux pris en charge collectivement que par les individus ou les entreprises, la formation professionnelle favorise l’employabilité dont profitent les entreprises.
Notre ambition est celle d’une prospérité partagée par tous. Ce partage de la prospérité est aussi notre leitmotiv pour l’Europe, car c’est la condition d’une adhésion de tous ses citoyens au projet européen. L’Europe doit être soucieuse des moins riches, elle doit aider la mise en place de systèmes sociaux performants, elle doit être soucieuse de préserver et d’améliorer ses services publics. Ce modèle est compatible avec les réformes économiques que nous menons, il est même le but ultime de ces réformes, il est l' » âme » de l’Europe dont beaucoup se plaignent aujourd’hui qu’elle soit oubliée. Nous estimons qu’il doit rester présent lors de la révision de la stratégie de Lisbonne.
Enfin troisième raison, l’Estonie, et les pays qui viennent de rejoindre l’Europe, aspirent légitimement au même niveau de prospérité que les autres pays.
Il ne faut pas décevoir les Européens sur ce point. Je crois que la France est parfaitement consciente de cet enjeu, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la cohésion entre régions plus riches et régions moins riches reste l’un des fondements de l’Union européenne. C’est d’ailleurs cette cohésion qui a permis l’intégration réussie de nombreux pays de l’Union européenne. Les pays les plus riches comme la France ont une responsabilité particulière à cet égard, et nous comptons pleinement l’assumer. Nous défendrons donc une priorité affichée en faveur des nouveaux membres dans les perspectives financières de l’Union pour 2007-2013.
La France aborde l’élargissement, au plan économique, dans un esprit très positif. C’est en effet une chance nouvelle pour les entreprises européennes : un marché qui s’ouvre et se développe, 475 millions de consommateurs au total, des échanges qui vont pouvoir s’accélérer. J’ai eu à cet égard l’occasion de rencontrer plusieurs entreprises françaises très actives en Estonie, qui mettent en œuvre des partenariats dans des domaines de pointe : Alstom dans les centrales électriques à Narva, Thalès, Sagem ou EADS pour la sécurité, Véolia pour l’énergie avec Tallinnaküte. C’est dans cet esprit que la France aborde l’élargissement au plan économique : mettre en valeur ses entreprises, ses savoir-faire notamment technologiques, bâtir des partenariats dans ses domaines d’excellence.
Je sais qu’on a beaucoup parlé de délocalisations. C’est un sujet qui préoccupe à juste titre les Européens. Mais il ne faut pas croire que la France redoute la compétition économique, qui d’ailleurs ne date pas d’aujourd’hui : elle a toujours su en tirer parti. Elle a ainsi renouvelé son tissu industriel, elle a édifié des entreprises de niveau mondial (automobile, énergie, défense, aéronautique, services, agro-alimentaire, distribution…). La compétition économique a permis à la France de renforcer ses atouts : compétences technologiques, forte productivité, services publics performants.
C’est la recherche d’une attractivité de son territoire encore meilleure que la France privilégie aujourd’hui. Elle le fait dans un esprit positif et non par le refus d’une concurrence déjà bien installée. D’ailleurs, s’agissant plus particulièrement des nouveaux membres de l’Union européenne, la France est consciente que pour l’essentiel ses entreprises s’y implantent pour se développer et atteindre de nouveaux marchés, et non pour déplacer des activités existantes en France.
Ce que souhaite la France, c’est une saine émulation au niveau européen. Car, ce qui est en jeu, c’est la place de l’Europe dans la concurrence mondiale. A cet égard, la réflexion sur l’harmonisation de l’assiette fiscale est un élément important de clarification. Nous souhaitons que ce chantier soit rapidement conduit, comme la commission l’a proposé. On ne peut pas à ce stade préjuger des conclusions, mais nous y avons un intérêt collectif pour offrir aux investisseurs un cadre transparent et lisible, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Je sais bien que ce sujet suscite de vifs débats, en Estonie comme en France. Pour ma part, je crois qu’il faut avant tout mieux nous comprendre. Ainsi, ce que la France souhaite, c’est que les choix économiques et fiscaux soient respectueux des règles communes. Ce que souhaite la France également c’est une concurrence fondée sur des règles justes et loyales, au service d’un développement équilibré des différents territoires de l’Union. C’est en effet essentiel pour que ses citoyens continuent de soutenir l’idée européenne. Par exemple, s’agissant des fonds structurels, la France est soucieuse que leur utilisation résulte, comme cela est la règle, d’un co-financement entre l’Etat bénéficiaire et l’Union européenne.
Je crois aussi qu’il ne faut pas céder aux clichés. J’ai moi-même évoqué à l’instant quelques images fausses sur la France au plan économique, pour rétablir la réalité. M. Juhan Parts a rappelé dans une intervention il y a quelques jours que les prélèvements publics représentent plus de 35% du PIB de l’Estonie. Cela contribue à rendre la discussion plus claire et plus sereine, et je m’en félicite. Nous devons de cette façon engager un dialogue et un débat sérieux sur ces questions. C’est dans notre intérêt, tant vis-à-vis des citoyens que des milieux économiques. C’est mon souhait de favoriser ce dialogue ici avec l’Estonie et au plan européen avec tous les Etats membres.
Une prospérité partagée entre les pays d’Europe, entre les citoyens de chaque pays européen, voici la vision que la France peut avoir pour l’ambition économique de l’Europe. Nous avons en Europe des atouts considérables, mais il y a aussi des obstacles, des insuffisances. Cela appelle des réformes, que la France engage d’ailleurs à un rythme très soutenu, cela appelle aussi un volontarisme pour la recherche, l’industrie, les réseaux européens, la cohésion sociale et territoriale. Nous porterons ces priorités dans le cadre de la négociation des prochaines perspectives financières. Nous souhaitons également que ces éléments puissent donner un nouveau dynamisme à la stratégie de Lisbonne, à la stratégie de compétitivité de l’Union européenne. Cette stratégie, l’Europe doit y croire, elle doit la concrétiser, et faire en sorte que ses citoyens puissent plus largement y adhérer. Sur tous ces sujets, nous souhaitons un dialogue nourri et suivi avec nos partenaires, et notamment avec l’Estonie.
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