Installés depuis quatre millénaires sur leur actuel « territoire ethnique », les Estoniens ont, comme aime à le répéter l’écrivain et diplomate Lennart Meri, aujourd’hui Président de la République, une grande mémoire. Cette mémoire ethnique se fonde sur un ensemble de croyances et de pratiques au premier rang desquelles se range la religion traditionnelle.
La religion ancienne des Estoniens
Les sources des croyances religieuses estoniennes se perdent dans la nuit des origines. Les mythes cosmogoniques qui voient la création du monde dans un oeuf mystérieux pondu par un oiseau miraculeux et la voie lactée comme un arbre géant sont des expressions de cette religion chamanique des origines. Le culte des morts, réputés être sous l’emprise du Malin mais aussi dans une certaine mesure contrôler celui-ci, se retrouve généralement dans ces religions anciennes des peuples finno-ougriens. La demeure des disparus est dans la forêt. D’ailleurs, tout dans celle-ci est réputé avoir un esprit et ces esprits appelés haidjas (d’un vieux terme germanique) sont censés protéger les humains.
Avec le développement de l’agriculture au cours du premier millénaire avant notre ère, les esprits, bons ou mauvais, acquièrent la réputation de détenir la clé des récoltes.
Des fêtes, notamment pour la période de Noël, sont célébrées pour assurer la fertilité des terres. Plus tard, les contacts avec le monde Scandinave introduisent dans le panthéon estonien des héros titanesques à la manière nordique, lesquels seront ultérieurement repris par le christianisme moyennant un changement d’attributs et de dénominations ; mais jusqu’au XVIIIe, voire au XIXe siècle, des traces directes des anciens cultes sont encore perceptibles.
Mythes et croyances populaires
La poésie épique est l’une des manifestations privilégiées des croyances populaires. Celle-ci, en ce qui concerne les Estoniens, est pour l’essentiel une transposition émotionnelle de la vie quotidienne qui se caractérise par son caractère cru. La prédominance des attitudes passives, ennoblies par des sentiments sincères et profonds, témoignent des dures conditions de vie du peuple dans le passé. Le dualisme du bien et du mal apparaît comme totalement étranger aux convictions morales originelles du peuple estonien. L’univers des Estes était conçu comme un processus naturel continu dans lequel les hommes, profitant de l’expérience accumulée par des ancêtres révérés, communiquaient simplement et amicalement avec la nature.
Dans ce système, l’homme n’était pas le maître mais plutôt une composante intégrante de celle-ci.
Cette conception originale se modifie progressivement au Moyen-age sous l’influence des facteurs environnants objectifs vus plus haut. La mythologie estonienne, personnifiant les forces de la nature, se peuple progressivement de géants germaniques imprévisibles du type de Suur Tôll et de Kalevipoeg.
Peuple longtemps demeuré païen, les Estoniens ont naturellement conservé leurs anciens rites qui, au fil des ans, se sont mélangés avec les nouvelles coutumes d’origine chrétienne ou allemande, comme en témoignent le calendrier populaire et les fêtes traditionnelles. Parmi les festivités qui ont subsisté jusqu’à nos jours, on peut citer le Mardi-Gras (Vastlapàev) avec ses glissades de luge, ses repas de soupe de fèves et de pied de cochon, la Saint-Martin (Mardipaev) et la Sainte-Catherine (Kadripiiev) avec ses quémandeurs masqués qui, durant la veillée, passent de porte en porte en chantant et en riant.
Il faut encore signaler la période de Noël et du Nouvel an avec ses tables garnies de victuailles toute la nuit, sa coutume de prédire l’avenir en jetant du plomb fondu dans de l’eau, et la Saint-Jean (Jwinipaev), sa veillée avec ses feux, ses jeux, ses grandes balançoires et la quête de la mythique fleur de fougère. Le fait que cette nuit-là il ne fait pratiquement pas sombre – d’après la légende, c’est la seule fois de l’année que l’Aurore et le Crépuscule, ces amoureux éternellement séparés, se rencontrent et s’embrassent – donne un charme et un attrait tout particuliers à cette fête.
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