Pays Baltes

Estonie, Lettonie et Lituanie

Rétrospective Jonas Mekas, indépendantiste lituanien

par | 29/11/2003

L’homme a le regard malicieux, les nippes d’un clochard céleste et nous accueille, sourire en coin, d’un ‘Que voulez-vous savoir ?’. À 80 ans, Jonas Mekas est une légende vivante du cinéma d’avant-garde américain. Né en 1922 en Lituanie, il débarque à New York en octobre 1949 avec son frère Adolfas. Dès son arrivée, il achète une Bolex – caméra légère 16 mm. Il commence dans un premier temps à enregistrer sa vie quotidienne et celle d’autres exilés, puis ses rencontres, ses voyages, la nature… Il invente ainsi le « diary film », à la fois document d’une époque et vision mélancolique et nostalgique de l’existence. Mekas est le premier à appliquer au cinéma la forme littéraire du journal.

L’homme à la caméra

Véritable légende vivante, inspirateur de l’avant-garde aux États-Unis où il s’établit vingt sept ans après sa naissance en Lituanie, indépendantiste passionné, Jonas Mekas, présentera aux Boréales, ses films, ses vidéos, sa dernière installation et son premier ouvrage publié en français.

Outre l’application qu’il en fait dans son œuvre, il développe ce concept de « ciné-journal » à travers des articles de réflexion sur le cinéma dans le journal The Village Voice.
Walden (Diaries, Notes and Sketches), sorti en 1969, pose un ton et une écriture révolutionnaires. Le film est « tourné-monté » : les ralentis, accélérations, zooms… sont dictés par ses sensations immédiates, « chaque sujet, chaque réalité, chaque émotion déteint sur le style avec lequel je filme. » Il « apprend » sa caméra pour faire corps avec elle et ne regarde plus dans le viseur, ne contrôle pas son exposition et ne vérifie plus la mise au point. Libres de tout dogme et de tout canon esthétique, ses films semblent avoir été tournés au lendemain de l’entrée du train en gare de La Ciotat (1), scène que Mekas re-filme dans le splendide Note for Jerome, dédié aux frères Lumière. Cinéma du cœur et du corps, physique et passionné, il impose une liberté et une indépendance qui s’opposent radicalement au cinéma commercial. Hérault de la contre-culture et du mouvement beat, il réalise des films traversés de personnes désormais cultes : Allen Ginsberg, Robert Franck, Salvador Dali, Patti Smith, Peter Beard.et nous offrent quelques séquences hallucinantes où l’on voit John Lennon jouer au basket avec Miles Davis, Andy Warhol en tenue d’été et bob sur le bord d’une plage, ou Gérard Malanga se fouettant avec le câble d’un micro lors du premier concert du Velvet Underground à la Factory. Jonas Mekas fixe avec lyrisme ces moments d’intimité et les joint à des séquences où reviennent les mêmes thèmes : la nature (très inspirée par Henry Thoreau (2) et Walt Whitman (3)), l’enfance, l’exil (source de nostalgie) et le cinéma. Sa vie et son cinéma ne font qu’un, l’une dépendant de l’autre, l’une nourrissant l’autre. Son regard tord le réel pour mieux « fantasmer, poétiser le monde dans lequel nous devons survivre » (4) et pour retenir, transformer en souvenirs « des fragments de bonheur et de beauté ».
En cela Jonas Mekas est aux sources mêmes du cinéma, art du temps. « L’autre cinéma voit l’existence en terme cyclique. Tout se répète : les jours, les battements du cœur, la lumière. Si on est conscient de cela, on peut créer du temps. » Son œuvre est une spirale tumultueuse où se télescopent sensations, réminiscences, où se retrouvent des vieux amis. On croise de film en film les mêmes lieux, les mêmes personnes, les saisons se répètent. Il filme le vent, la neige, les nuages… Ces fragments créent un imaginaire, un lieu où le temps semble suspendu et les événements intimes et historiques deviennent intemporels. Ils appartiennent au cinéma, cet espace où tout est possible. Jonas Mekas l’exilé s’est recréé une nation avec le cinéma. Mais Mekas n’est pas seulement l’auteur d’une œuvre sidérante, il est également l’un des artisans militants qui ont travaillé pour la critique, la diffusion et la conservation des films d’avant-garde. En 1953 il crée la revue Film culture et tient à partir de 1958 la chronique cinéma du Village Voice. Il est également au centre de la création de la Film Makers’ Cooperative, première initiative mondiale d’un regroupement de cinéastes pour la distribution indépendante et parallèle de leurs films. Dans les années 1960 Jonas Mekas, Jerome Hill, P. Adams Sitney, Peter Kubelka et Stan Brakhage créent l’Anthology Film Archive, première cinémathèque du cinéma indépendant et d’avant-garde.

Cédric Martigny / Extrait de la revue L’Œil électrique, n°28, avril 2003

– 1. Le premier film des frères Lumière, en 1895.
– 2. Henry Thoreau : écrivain américain (1817-1862). Disciple d’Emerson, influencé par les mystiques indous et les idéalistes allemands, il crée une prose qui fait largement appel à la langue populaire.
– 3. Walt Whitman : poète américain (1819-1892). Auteur des Feuilles d’herbes, où, en de longs versets libres, employant les termes les plus directs de la langue populaire, il exalte la sensualité et la liberté. Son lyrisme est représentatif de la sensibilité américaine.
– 4. Peter Koubelka, conférence « Qu’est-ce que le cinéma ? », donnée à Pantin le mercredi 10 avril 2002.

Tout au long de la journée, vous pourrez revoir les films de Jonas Mekas :

– The Brig (1964), Street songs (1966), Lost Lost Lost (1976), Walden (1964-1969), Award presentation to Andy Warhol (1964), Report from Millbrook (1966), Hare Krishna (1966), Notes on the Circus (1966), Cup / Saucer / Dancers / Radio (1965 / 1983), In Between (1978), Cassis (1966), Mysteries (1966-2000), Notes for Jerome (1978), Reminiscences of a journey to Lithuania (1971-1972), He stands in a desert counting the seconds of his life (1969-1985), Paradise not yet lost (1979), Quartet number one (1991), Scenes from the life of George Maciunas (1992), Happy birthday to John (1996), This side of paradise (1999), Scenes from the life of Andy Warhol (1990), As I was moving ahead occasionally I saw brief glimpses of beauty (2000), Mob of angels at St. Ann(1992 – vidéo), The education of Sebastian or Egypt regained (1992 – vidéo), Scenes from Allen’s last three days on Earth as a spirit (1997 – vidéo), Laboratorium (1999 – vidéo).

Dans le cadre des Rencontres Vidéo Art Plastique, en collaboration avec le Café des images.
Tarifs : Café des images.

Lieu :

– Centre d’art contemporain de Basse-Normandie
– 7, Passage de la Poste
– 14203 Hérouville Saint-Clair

Horaires : De 10h00 à 23h00

Organisation : Centre régional des Lettres de Basse-Normandie

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